Update – version FR disponible
Comme vous le savez, la situation à l’EEB IV de Laeken est marquée par des tensions au sujet du nombre important de chargés de cours (professeurs recrutés localement) menacés de licenciement – 25 selon la direction de l’école – suite aux propositions de détachement de professeurs par les Etats membres. Une action de grève des élèves du secondaire a eu lieu aujourd’hui à 11.00 à l’école. Dans ce cadre-là, l’APEEE EEB IV a décidé d’alerter les Etats membres sur les problèmes rencontrés à Laeken, à travers les inspecteurs nationaux et les représentants des Etats membres au Conseil supérieur des écoles européennes. Vous trouverez ci-dessous la lettre ouverte qui leur a été adressée ce mardi 12 mars. Une version française sera disponible incessamment. Des syndicats de la Commission européenne ont adressé une lettre similaire au Commissaire européen dans le portefeuille duquel se trouvent les écoles européennes, M. Günther Oettinger.
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A qui de droit,
Dernièrement, les Écoles européennes ont été confrontées à de nombreux défis : contraintes budgétaires croissantes, Brexit, augmentation constante du nombre d’étudiants inscrits, incertitude persistante concernant une cinquième École européenne à Bruxelles, réticence des États membres à détacher des enseignants et incapacité à retenir de nombreux enseignants d’excellence recrutés localement (locally recruited teachers – LRTs).
Toutes ces difficultés ont eu un effet sur la qualité de l’enseignement dans les Écoles européennes. Les parents, les élèves et la communauté des enseignants ont été affectés de manière négative par l’incertitude et les tensions que ces défis ont engendrées.
Par exemple, à l’EEB IV, ces tensions et ces sentiments d’incertitude ont atteint récemment leur paroxysme à l’annonce du détachement de 33 enseignants pour l’année scolaire 2019-2020.
Le détachement d’enseignants non natifs pour enseigner la chimie en français et le français L2/L3/L3/L4 a été considéré comme particulièrement scandaleux par les parents et les élèves de l’EEB IV car il enfreint la règle définie dans le document 2018-01-D-65-fr-3 : Contrôle du niveau des compétences linguistiques lors de la procédure de recrutement des personnels enseignants et d’éducation, locuteurs non-natifs : « l’engagement d’un locuteur non natif devrait rester une réponse pragmatique et exceptionnelle à une situation de pénurie » (p.2).
En particulier, le détachement à Bruxelles d’enseignants francophones non natifs pour enseigner en français, au primaire ou au secondaire, défie le bon sens, puisqu’il n’y a pas pénurie d’enseignants francophones natifs en Belgique. De plus, les salaires des Écoles européennes sont légèrement supérieurs à ceux des écoles belges locales, ce qui signifie que les postes d’enseignants francophones sont susceptibles d’être plutôt attractifs pour les enseignants de langue maternelle francophone.
Des inquiétudes ont également été exprimées à l’EEB IV concernant les conditions dans lesquelles les postes d’enseignants non natifs en mathématiques (EN), chimie (EN) et anglais (L2/L3) ont été ouverts pour détachement. En particulier, le conseil d’administration de l’école n’a jamais été informé de l’autorisation accordée aux ” conseils d’administration (…) de ne [pas] mentionner les postes nécessitant des enseignants dont la langue maternelle (ou première) est l’anglais ” (p. 3 du document 2019-02-D-14-en-2 Postes d’enseignants détachés prévus pour l’année scolaire 2019-2020). Cette omission a potentiellement conduit à remplacer des enseignants recrutés localement et de langue maternelle anglaise par des enseignants non anglophones détachés.
Nous tenons à souligner qu’un enseignement de qualité dans la langue maternelle des élèves doit rester une priorité absolue des Écoles européennes, comme indiqué dans le document précité, « Contrôle du niveau des compétences linguistiques lors de la procédure de recrutement des personnels enseignants et d’éducation, locuteurs non-natifs ». Comme l’indique clairement le présent document, la nomination de personnes non natives devrait rester l’exception plutôt que la règle. De plus, reconnaissant la nécessité d’assurer la compétence linguistique de tout enseignant non natif recruté dans des cas exceptionnels, le présent document indique clairement que: « L’introduction de règles relatives à la vérification du niveau de compétences linguistiques en cas de détachement sur place ou au recrutement local d’enseignants non locuteurs natifs est une nécessité».
Les APEEEs et les parents qu’elles représentent tiennent à exprimer leur sincère préoccupation face à la pratique de plus en plus courante d’employer des locuteurs non natifs dans toutes les situations plutôt que dans les seules situations de pénurie, une pratique qui va clairement à l’encontre de la règle établie.
En outre, un contrôle efficace, indépendant et fiable du niveau des compétences linguistiques conformément au document 2018-01-D-65-fr-3 n’a pas encore été intégré dans la procédure de sélection des enseignants détachés. Cela a conduit à des situations alarmantes dans lesquelles des enseignants détachés ont été invités à enseigner une matière pour laquelle ils n’ont pas été détachés, et dans une langue pour laquelle ils n’ont pas reçu de certificat de niveau C2 d’un organisme de certification indépendant. En outre, certains des enseignants déjà recrutés n’ont démontré ni “maîtrise du vocabulaire technique de leur matière dans la ou les langues d’enseignement” ni “terminologie spécialisée de la matière dans cette langue”. Etant donné que les élèves des Ecoles européennes sont censés atteindre le niveau C1 dans leur L2 lorsqu’ils obtiennent le Bac, il est primordial d’avoir des enseignants suffisamment qualifiés. De plus, il est nécessaire de disposer d’une procédure codifiée solide pour garantir ce niveau à tous les enseignants nouvellement embauchés.
Nous tenons à souligner qu’il est d’une importance capitale que tous les enseignants détachés pour enseigner au niveau primaire aient une maîtrise native de la langue dans laquelle ils enseignent. Cela est primordial pour la L1 et la L2, les années en primaire jetant les bases de la maîtrise de la L2. De plus, tous les enseignants de L1 détachés doivent être capables de communiquer avec aisance dans les langues principales de travail des Écoles européennes – anglais et/ou français.
En plus de garantir le plus haut niveau de compétence linguistique, les enseignants détachés ne devraient pas être invités à enseigner des matières pour lesquelles ils n’ont pas été détachés. Nous avons récemment appris l’existence de pratiques où l’on a demandé à des enseignants de mathématiques d’enseigner les sciences intégrées ou l’informatique, matières pour lesquelles ils ne sont pas qualifiés et n’ont aucune expérience d’enseignement. Ces pratiques diminuent la qualité académique des Écoles européennes et ne devraient en aucun cas être appliquées.
La pratique de l’emploi transversal dans les Écoles européennes, notamment en matière de détachement, a eu un impact négatif sur la cohésion pédagogique et sociale. Les enseignants qui ne correspondent pas aux postes auxquels ils ont été affectés ne sont pas bien perçus par leurs collègues et leurs élèves. Par conséquent, ils éprouvent des difficultés personnelles considérables à s’intégrer dans la communauté scolaire. Les élèves sont ainsi confrontés à de sérieux obstacles d’apprentissage, car ils ne peuvent correctement comprendre les instructions de leurs enseignants et sont donc à la traîne dans leur maîtrise des matières respectives.
Les Écoles européennes sont depuis longtemps des promoteurs essentiels de l’égalité et de la diversité. Par conséquent, nos écoles ne devraient pas tolérer un climat dans lequel le principe général de l’égalité de traitement en droit européen n’est pas pleinement appliqué à tous les enseignants. Souvent, les LRTs sont victimes de discrimination parce qu’ils sont considérés comme des enseignants de ” seconde classe “, facilement dispensables et sévèrement sous-évalués, en dépit d’avoir fait preuve de compétences considérables, de dévouement et de détermination dans leurs efforts à construire des Écoles européennes réputées où les valeurs européennes sont chères et adoptées par les enfants de tout âge.
Un exemple de promotion des valeurs européennes est actuellement donné par les élèves du secondaire de l’EEB IV, qui ont décidé de soutenir leurs LRTs en exerçant leurs droits à la liberté d’expression et de réunion, comme le garantissent les articles 11 et 12 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Nous tenons à souligner qu’il est primordial que ces droits ne soient pas violés de quelque façon que ce soit et qu’aucune pression indue ne soit exercée sur les enfants qui décident de se mettre en grève.
Il va de soi que les mêmes exigences en matière de compétences linguistiques et disciplinaires s’appliquent également aux LRTs et aux enseignants détachés – après tout, le programme de l’École européenne est le fondement de toutes les classes, quel que soit le statut professionnel des enseignants. Tous les enseignants devraient donc être traités sur un pied d’égalité en ce qui concerne le contrôle de leurs compétences linguistiques et disciplinaires.
Étant donné que l’enseignement dans les Écoles européennes semble évoluer de plus en plus vers des emplois transversaux, un État membre recrutant des enseignants pour un autre État membre, un changement dans le processus de recrutement est nécessaire et urgent. Actuellement, les États membres continuent de recourir à des méthodologies purement nationales pour le recrutement et le détachement des enseignants, ce qui se traduit par des procédures de sélection très diverses qui ne sont pas nécessairement européennes par leur esprit ou leurs résultats. De fait, tous les États membres n’exigent pas que leurs élèves du secondaire atteignent le niveau C1 dans leur L2 ou étudient des matières dans leur L2, ce qui signifie que les critères de sélection dans ces cas sont loin d’être satisfaisants pour les Écoles européennes. Une procédure de recrutement normalisée et appliquée par tous les États Membres devient une nécessité.
Compte tenu de ce qui précède, les APEEEs recommandent la mise en œuvre d’une approche en deux temps, comme ci-dessous :
L’étape 1 devrait être consacrée à améliorer la transparence et la cohérence des procédures de sélection de chaque État membre. Concernant les méthodologies nationales, les modifications suivantes sont envisagées :
- S’assurer que les candidats sont tenus de fournir des certificats internationaux de niveau C2 décernés par un organisme indépendant et reconnu à l’étranger pour la langue L2 dans laquelle ils enseigneront
- S’assurer que les candidats ont une expérience internationale de l’enseignement de la matière pour laquelle ils postulent dans la (les) langue(s) dans laquelle (lesquelles) ils seront appelés à enseigner. Des études antérieures dans la ou les langues dans lesquelles on leur demandera d’enseigner devraient demeurer un atout indéniable et sans conteste indispensable.
- S’assurer que la procédure de sélection se déroule dans la (les) langue(s) dans laquelle (lesquelles) les candidats seront censés enseigner et qu’elle comporte des simulations de cours ainsi qu’une séance de questions-réponses pour vérifier les connaissances des candidats sur leurs matières respectives.
- Veiller à ce que le jury de sélection soit composé d’évaluateurs qualifiés (locuteurs natifs ou quasi-natifs, titulaires d’un certificat de niveau C2) qui maîtrisent la matière concernée et puissent ainsi juger correctement les compétences linguistiques et disciplinaires des candidats, par exemple la capacité des candidats à expliquer les concepts scientifiques et techniques dans un langage clair et direct
- S’assurer que, pour les postes impliquant un enseignement dans une section linguistique différente, les candidats ont une connaissance approfondie des méthodes d’enseignement et de la culture des États membres représentés par la section linguistique concernée, en plus d’excellentes compétences linguistiques en L2.
- S’assurer que le jury comprend un représentant de la direction de l’École européenne concernée, un représentant des enseignants des sections concernées et, si possible, un représentant des parents des sections concernées.
L’étape 2 devrait être consacrée à l’harmonisation des procédures de sélection entre les États membres. Une telle harmonisation nécessiterait la création et l’adoption d’une méthodologie transeuropéenne commune pour la sélection des enseignants détachés au niveau européen. Cette démarche impliquerait bien entendu des efforts soutenus et des ressources durables de la part des États membres, ainsi que des représentants des enseignants et des parents des Écoles européennes.
Nous sommes convaincus qu’en ces temps difficiles nous pouvons compter sur vous pour faire en sorte que les Écoles européennes restent les fiers praticiens et promoteurs des valeurs européennes en continuant à offrir un enseignement de qualité à tous les élèves, quelle que soit leur nationalité. Il s’agit, bien entendu, d’offrir un environnement pédagogique de qualité à tous les enseignants, quel que soit leur statut contractuel.
Pour ces raisons, nous vous demandons d’examiner la nécessité et l’urgence des mesures décrites ci-dessus.
Cordialement,
APEEE Bruxelles IV, soutenu par l’APEEE de Bruxelles I, II et III et Interparents